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Les pénuries

Cette proximité du front accentuait les difficultés de la vie quotidienne. Le père mobilisé, les difficultés d'approvisionnements de produits de première nécessité et de matière première pour l'industrie textile, les voies de communication coupées ou réquisitionnées par l'armée, le ralentissement de la production industrielle, la montée excessive des prix, furent autant d'éléments  qui provoquèrent à Troyes une montée de la misère. Le pain manquait, le charbon devenait de plus en plus rare et le gaz faisait fréquemment défaut dans les cuisines. Les prix des produits d'alimentation atteignirent des sommets les œufs se vendaient 4,00 F la douzaine, le beurre 4,00 F à 4,50 F la livre, alors qu'en juin 1914 les œufs valaient 1,20 F la douzaine et le beurre 1,00 F la livre.

A l'Hôte de Ville, portail de la rue Claude-HuezVoir l'image en grand A l'Hôte de Ville, portail de la rue Claude-Huez, distribution des allocations familliales.Cette hausse des prix provoqua l'énervement manifeste de la population troyenne. De plus, comme souvent en pareille situation, quelques profiteurs s'enrichirent sur la misère des autres.

La Municipalité troyenne fit face en attribuant des allocations pour les plus nécessiteux. Des cantines municipales et privées s'ouvrirent dès la fin de l'année  1914. Par décision du 26 février 1916,  le  Conseil  municipal ouvrit  une  boucherie  municipale inaugurée le 18 mars  1916 ; L'initiative fut suivie en février  1918 d'une épicerie installée au premier étage de la Bourse du Travail. La situation s'aggrava avec la présence massive de réfugiés belges, luxembourgeois, ardennais, meusiens, vosgiens et marnais qui malgré l'action des autorités  militaires et du préfet de l'Aube, lesquels souhaitaient refouler ces émigrants au sud du département, arrivaient à Troyes complètement démunis. Convaincus eux aussi que la guerre ne durerait que quelques mois, ils n'avaient emporté avec eux que le strict minimum, abandonnant leurs maisons, leurs champs, leurs biens... Cette arrivée  massive posera quelques difficultés à  la population troyenne déjà confrontée à un quotidien difficile.

Cependant les autorités civiles créèrent rapidement un comité d'accueil pour faciliter l'installation de ces étrangers. Tous  les lieux publics et notamment le Cirque municipal furent aménagés pour abriter les familles, des cantines supplémentaires installées. Progressivement   les  patrons de l'industrie,  du  commerce, les agriculteurs des environs de Troyes, confrontés à une grande pénurie de main d'œuvre, employèrent ces réfugiés. Même si par leur âge ils ne présentaient pas toutes les qualités requises pour suppléer pleinement à la main d'œuvre professionnelle mobilisée au front, ils constituèrent néanmoins une participation non négligeable pour la sauvegarde de l'économie locale. D'autres apprécièrent la richesse patrimoniale de la ville qui les accueillait, ainsi le jeune peintre belge, Albert Raty, découvrit l'art français durant son séjour.

Le décret présidentiel  qui instaura l'état de siège sur tout le territoire restreignit considérablement les libertés individuelles. La censure, imposée au courrier, télégramme, téléphone et à la presse déformait les réalités du front. Dans tous les domaines le pouvoir civil s'effaça devant l'autorité militaire. A cet égard, le préfet de l'Aube se plaignit du contrôle étroit exercé sur la correspondance de ses services laquelle devait obligatoirement transiter par les services du général commandant la 20ème Région militaire. Il en résultait un retard important dans l'envoi des correspondances adressées au Gouvernement.

Août 1914. Le campement des réfugiésVoir l'image en grand Août 1914. Le campement des réfugiés dans la piste du Cirque municipal (Actuel théâtre de Champagne).Dans cette France bleu horizon, engagée dans une guerre sans limites, sans victoire ni défaite, des hommes refusèrent le sacrifice. Il y eut des déserteurs, des profiteurs, des bandits de grand chemin. Il y eut aussi, comme le rappelle Jean-Baptiste Duroselle dans son ouvrage La Grande Guerre des Français, la formation de bandes d'enfants et d'adolescents qui créèrent l'insécurité dans les villes. Ainsi à Troyes un rapport du préfet de l'Aube au Ministre de la Justice en date du 7 septembre 1916 relevait avec inquiétude le développement de "bandes de jeunes  malfaiteurs".  Fin  juillet 1916, la bande dite des "Charmilles" composée de 21 adolescents âgés de 14 à 19 ans, masqués et revolver au poing agressait et volait "les femmes seules. La "bande des Z" dont le chef était à peine âgé de 17 ans se rendit également coupable de vols, d'agressions à main armée et d'incendies volontaires. Les rapports de police leur attribuèrent plus de 60 vols. Les enquêtes menées aboutirent toutes à l'arrestation de ces bandes et démontrèrent l'influence  néfaste  de  la  diffusion  de  romans  policiers  et  du développement du cinématographe à la gloire du banditisme. Ces phénomènes modernes influençaient fortement ces 'jeunes gens fragiles emportés par l'illusion". Cette nouvelle délinquance trouvait sa cause dans la dispersion de la  cellule familiale à laquelle s'ajoutaient les restrictions quotidiennes. Elle était également favorisée du fait d'une gendarmerie vieillissante et rare occupée par les tâches d'intendance des Armées.

L'armistice fut signé le 11 novembre à 5h00 du matin. A Paris et dans toutes les villes et villages de France les cloches sonnèrent son entrée en vigueur à 11h00. Troyes pavoisa. Les écoles et les usines fermèrent leurs portes. Les Troyens en liesse, envahirent les rues de la cité pour se rejoindre sur la place de l'Hôtel-de-Ville, cette même place  où ils s'étaient rassemblés 4 ans et 3 mois auparavant devant la petite affiche rehaussée des deux drapeaux tricolores ...