Vous êtes ici :

Le monument aux morts la Grande Guerre

Projet dessin du monument aux mortsVoir l'image en grand Projet dessin du monument aux morts du cimetière de Troyes réalisé par Jacques Bauer architecteLe monument des Enfants de l'Aube ne pouvait cependant convenir pour rendre hommage aux morts de la Grande Guerre. Plusieurs propositions de monuments spécifiques sont donc faites dès la fin du conflit : en décembre 1918, le maire de Troyes propose d'étudier « l'érection de deux monuments à Troyes, l'un au cimetière et l'autre sur une place de la Ville » (4). Le premier monument devait perpétuer la mémoire « de tous ceux, originaires de toutes les parties de la France ou de ses colonies » qui avaient été inhumés dans les hôpitaux de Troyes (environ 2 500 soldats). On prévoit donc la création d'une nécropole au cimetière. Mais la municipalité imagine aussi « un autre monument, élevé sur une de nos places publiques, et d'un caractère tout différent, en somme une réplique du  monument des Enfants  de l'Aube » qui permettrait de  « glorifier  la mémoire des Enfants de Troyes, tombés sur tous les champs de bataille du monde, sur terre ou sur mer " (2 982 Troyens sont morts au combat durant la Grande Guerre,  soit 5,5 % de la population de 1911) (5). Pour ce dernier monument, plusieurs emplacements sont envisagés : place du Marché-Couvert, jardin de la Préfecture, place de l’Hôtel-de-Ville ou encore à l'intersection du boulevard Victor-Hugo et de la rue du Beffroy (aujourd'hui rue du lieutenant-colonel Driant),  sur  l'axe  traditionnel   des défilés. Certains imaginent l'érection d'un « monument de la victoire » qui répondrait en quelque sorte au monument de 1890 : « 1918 en regard de 1870, ou la Victoire après la défaite », comme le note l'ancien maire Emile Riché (6).

Les deux monuments envisagés en 1918 vont connaître un étrange destin. Un comité d'érection du monument à la mémoire des morts pour la patrie est créé en décembre 1918 et le nouveau maire, élu en décembre 1919, le socialiste Emile Clévy, poursuit le projet initié par son prédécesseur. En mai 1920, le projet de monument destiné à la nécropole est choisi : c'est celui du statuaire parisien Morel et de l'architecte troyen Bauer (7).
Le monument s'appelle Hommage et reconnaissance et se compose d'une crypte-ossuaire surmontée d'un groupe statuaire: celui-ci est constitué de « deux figures douloureuses accablées sous le fardeau du sacrifice » (en fait une mère tenant son fils-soldat mort) et, au second plan, d'une « grande figure symbolique représentant la société protégée » qui « soutient et console » (8). La symbolique n'est évidemment plus la même que celle du monument des Enfants de l'Aube : certes, on retrouve bien le couple mère-enfant ainsi qu'une représentation de la mort (quoique plus impressionnante encore) mais la tonalité générale est beaucoup plus funéraire et manifeste l'accablement de la société française face au sacrifice consenti.

Au cimetière, tombes des soldats morts pour la patrieVoir l'image en grand Au cimetière, tombes des soldats morts pour la patrieUne plaque, apposée après l'inauguration du monument en 1926, porte l'inscription : « Que leur sacrifice ne soit pas vain et donne au monde la paix et la liberté ». L'idéal pacifiste est en rupture avec la volonté de revanche suggérée par le monument de 1890.

Tout semble désormais devoir aller très vite : la souscription publique rapporte 103 694 francs (9) et la municipalité accepte de participer aux frais. Pourtant, la nécropole prévue au cimetière ne voit pas le jour : la loi du 28 septembre 1920 autorise les transferts de corps et les met à la charge de l'Etat, ce qui ne rend plus nécessaire l'installation d'une nécropole, puisque de nombreux corps sont rapatriés par les familles. Le cimetière abrite néanmoins un   carré militaire et on décide d'y maintenir le monument choisi en 1920. Dès lors, le projet de  construction d'un second monument au centre-ville est abandonné.

Couronne offerte le 6 juillet 1915 à la Ville de TroyesVoir l'image en grand Couronne offerte le 6 juillet 1915 à la Ville de Troyes par MM. Molin et Métais, ferblantiers et par M. Coulon, peintre, qui l’a décorée.Le monument Morel-Bauer est finalement inauguré tardivement, le dimanche 31 octobre 1926, veille de Toussaint et, comme le souhaitent le Comité d'érection et la municipalité, lors d'une cérémonie « ayant un grand caractère de dignité et de simplicité »,  sans aucun discours, le souvenir des morts étant évoqué « par des morceaux de musique  appropriés à la circonstance et par des chœurs » (10).
Sous une pluie insistante, un cortège imposant quitte le centre-ville pour se rendre au cimetière : ouvert par les sapeurs-pompiers, il est constitué par les parents des soldats morts durant la guerre et les Pupilles de la nation et il est accompagné par de nombreuses personnalités (le préfet Atger, le général Moreigne, commandant la subdivision, Alexandre Israël, ancien député et directeur de cabinet du ministre de l'Instruction publique, le maire, Emile Clévy).
Comme prévu, aucun discours n'est prononcé. La cérémonie est émouvante et sobre (11).
La position excentrée du monument de la Grande Guerre et son inauguration tardive expliquent qu'il ne fut pas au coeur des commémorations du 11 novembre.


(4)  Extrait des délibérations du Conseil municipal, séance du 21 décembre 1918, copie conforme du 2 mai 1921. Archives départementales de l'Aube (ADA). 17 F1142.
(5)  Liste des morts et disparus de la ville de Troyes. AMT. 4 H 116 : un document de 1925 fait état de 2 981 morts (lettre du secrétaire de la Mairie de Troyes. 4 novembre 1925. AMT, 1 M 804).
(6)  Lettre d’Emile Riché adressée au maire de Troyes. 30 octobre 1918. AMT, 1 M 804.
(7)  Procès-verbal de la réunion du 5 mai 1920 à l'Hôtel de Ville de Troyes. AMT. 1 M 804.
(8)  Projet «  Hommage et reconnaissance » présenté par Morel et Bauer. 31 mars 1920. AMT. 1 M 804.
(9)  Etat au 3 janvier 1928. Réponse de la mairie de Troyes à l'enquête préfectorale de décembre 1927 sur les monuments aux morts. ADA. 17 R 137.
(10)  Lettre du maire de Troyes. 21 octobre 1926. AMT. 1 M 804.
(11)  Le Petit Troyen. 2 novembre 1926.

Par Olivier Pottier