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Les commémorations de la Grande Guerre à Troyes au fil du siècle

Dès les années vingt, la commémoration de la Grande Guerre est bien codifiée et elle est célébrée en deux temps : la cérémonie au cimetière a lieu le matin du jour de la Toussaint, il s’agit d’un moment de recueillement auquel participent toutes les autorités locales. Le 11 novembre est, quant à lui, un jour de fête qui se déroule au centre-ville : la journée s’ouvre par l’assemblée générale de la Ligue des Combattants de la Grande Guerre, elle revêt ensuite un caractère militaire avec une forte participation de la troupe, lors de la prise d’armes et du défilé sur le boulevard Victor-Hugo, qui a lieu le matin.

Monument aux morts des Enfants de L’Aube.Voir l'image en grand Monument aux morts des Enfants de L’Aube.L’après-midi, après le traditionnel banquet des anciens combattants (qui peut aussi avoir lieu le soir), se déroule le cortège organisé par la Ligue des Combattants : s’y mêlent les associations locales d’anciens combattants et les fanfares. Le cortège traverse la ville et aboutit au monument des Enfants de l’Aube. Comme le note un journaliste du Petit Troyen, « la Ligue des Combattants avait pris l’initiative d’un cortège composé de toutes les sociétés de la ville, et qui déposerait au monument des Enfants de l’Aube, en hommage à la fois aux morts de 1870-1871 et à ceux de la dernière tourmente, des fleurs en témoignage de pieuse reconnaissance » (22). C’est donc le monument commémorant la guerre de 1870-1871 qui est au centre des cérémonies rappelant celle de 1914-1918. La fin de l’après-midi est réservée aux jeux et aux concerts. Un feu d’artifice vient illuminer la soirée.

Lors du 20e anniversaire de l’armistice, en 1938, les cérémonies revêtent bien sûr un aspect particulier les accords de Munich ont été signés en septembre et la France, qui vient pourtant de « pactiser avec le diable » en sacrifiant son allié tchécoslovaque, veut croire à la paix. Une première cérémonie a lieu au cimetière de Troyes le 10 novembre : au pied du monument, une flamme symbolique brûle depuis le jour de la Toussaint.

Une délégation, formée de deux anciens combattants, d’une veuve de guerre, du fils et d’un père de soldat mort au combat, accompagne un flambeau allumé au monument pour le conduire, en cortège, jusqu’au monument des Enfants de l’Aube. Là, un ancien combattant de la guerre de 1870-1871 communique le feu du flambeau à une urne placée près du monument, tandis que le cortège repart vers la gare, Paris et l’Arc de Triomphe. Le lendemain, des flambeaux venus de tous les pays alliés et de toutes les régions de France sont ranimés à la flamme du soldat inconnu, avant de revenir dans leurs régions d’origine. à Troyes, la journée du 11 novembre est marquée par le défilé, dans les rues de la ville, du 1er Groupe d’auto-mitrailleuses de cavalerie (GAMC) qui vient de s’installer à Troyes. Le député-maire, René Plard, organise une réception pour cette unité, dont il visite les quartiers à la caserne Beurnonville. Dans son discours aux officiers, le maire dit avoir salué, fin septembre, « la paix préservée » mais aussi « la fierté et la force de notre armée ». Si, au soir de cette journée, les Troyens peuvent s’abandonner aux joies de la fête (feu d’artifice, bals), nombreux sont ceux qui gardent, chevillée au coeur, la crainte du retour de la guerre. Dans la nuit du 9 au 10 novembre, venait d’avoir lieu en Allemagne la « Nuit de cristal » qui, avec ses morts et ses destructions, annonçait les horreurs de la Seconde Guerre mondiale.

Ce dernier conflit impose en effet bientôt le souvenir d’atrocités qui touchent, cette fois-ci, davantage les civils que les militaires : à partir de 1945, de nombreux monuments commémoratifs apparaissent dans le paysage aubois et troyen. On notera toutefois que la mémoire de la Seconde Guerre mondiale ne "recouvre" pas complètement celle de la première. D’abord parce que les monuments aux morts de la Grande Guerre portent bientôt les noms des victimes, civiles et militaires, de la Seconde. Ensuite parce que, entre 1945 et 1953, la seule cérémonie officielle commémorant les morts des guerres reste le 11 novembre (le 8 mai n’est déclaré fête nationale qu’en 1953 et n’est plus férié à partir de 1959).

C’est le 11 novembre 1945 que la France célèbre officiellement ses morts en enterrant 15 victimes françaises de la guerre au Mont Valérien, promu lieu de mémoire de la France résistante. à Troyes, dans l’après-guerre, le souvenir des morts de la Seconde Guerre mondiale est donc toujours associé à celui des morts des guerres précédentes, lors de la cérémonie devant le monument des Enfants de l’Aube. Comme le dit un article de L’Est-Eclair de novembre 1948, ce monument « symbolise pour nous, Aubois, ceux qui sont morts pour la France en 1870-1871, 1914-1918, 1939-1945 » (23). Le monument de la Résistance auboise est, quant à lui, inauguré dans le cadre des cérémonies du 11 novembre 1955 : on veut « unir dans le même hommage les héros des deux guerres » (24), et plusieurs cérémonies associent, les 12 et 13 novembre 1955, le monument des Enfants de l’Aube, le monument aux morts de la Grande Guerre et le nouveau monument, installé place Jean-Moulin.

M. Michel, maire de Troyes, accompagné du citoyen Philbois.Voir l'image en grand M. Michel, maire de Troyes, accompagné du citoyen Philbois.En dehors de ces manifestations exceptionnelles, la commémoration de la Première Guerre mondiale garde la même organisation qu’avant-guerre : cérémonie au cimetière à la Toussaint, cérémonie devant le monument des Enfants de l’Aube le 11 novembre. La tonalité des discours évolue évidemment au gré de l’actualité en 1948, Georges Monier invite ainsi les anciens combattants à proclamer « leur haine farouche de la guerre dévastatrice » et à « mettre tout en oeuvre pour qu’un troisième conflit mondial ne vienne pas ensanglanter l’univers » (25). Nous sommes ici dans le contexte du début de la guerre froide. Dans les années qui suivent, d’autres thématiques apparaissent l’impératif de la construction européenne (« le progrès des idées européennes est aussi une des suites tardives, paradoxales et heureuses » de la Première Guerre mondiale, rappelle le Préfet de l’Aube, le 11 novembre 2002) (26) ou la nécessité du règlement des conflits « par la voie de la négociation sous l’égide des instances de l’ONU », comme le proclame un message de I’UFAC de novembre 2003 (27), quelques mois après le début de l’intervention américaine en Irak.

La commémoration de la Grande Guerre à Troyes se focalise très nettement sur le monument des Enfants de l’Aube, au détriment du monument du cimetière. Celui-ci a souffert de son installation excentrée et des aléas de sa construction. Il reste néanmoins le centre de la commémoration officielle du 1er novembre. La célébration du 11 novembre, quant à elle, se fait devant un monument consacré aux morts de la guerre de 1870-1871 et à proximité duquel ont été érigées deux stèles dédiées aux combattants morts en Indochine et en Afrique du Nord. Le 11 novembre devient donc un hommage aux morts de toutes les guerres et le monument des Enfants de l’Aube honore tous les combattants aubois tombés dans les guerres ayant impliqué la France depuis 1870. Ce premier espace mémoriel qui rappelle le sacrifice des soldats-citoyens pour leur patrie, est complété par un second espace, centré sur le monument de la Résistance auboise. Les cérémonies qui s’y déroulent (notamment celle du 8 mai) invitent les citoyens à la vigilance dans la nécessaire défense de la démocratie, comme le manifeste clairement l’inscription du monument « Médite et souviens-toi ».

(22)  Le Petit Troyen. 12 novembre 1927.
(23) L'Est-Eclair, 11-12 novembre 1948.
(24)  L'Est-Eclair 13-14 novembre 1955.
(25)  L'Est-Eclair, 11-12 novembre 1948.
(26) Libération-Champagne. 12 novembre 2002.
(27)  Libération-Champagne. 12 novembre 2003.

Par Olivier Pottier